La parole est au climatologue Jean-Pascal van Ypersele « les SDG peuvent se solder par un succès mais il faut en faire plus »
Chaque mois, nous interviewons un représentant des pouvoirs publics, de la société civile ou du secteur privé qui s’engage activement au service des Objectifs de Développement Durable (Sustainable Development Goals ou SDG). Ce mois-ci, nous nous sommes entretenus avec le professeur Jean-Pascal van Ypersele sur le futur des SDG, les liens de cause à effet entre les problématiques mondiales et le silence qui règne dans le paysage médiatique. Le professeur Jean-Pascal van Ypersele est un climatologue lié à l’Université Catholique de Louvain (UCL) et a siégé des années durant au sein du panel d’experts de l’ONU sur les changements climatiques, le GIEC. Actuellement, il fait également partie intégrante d’un nouveau comité d’experts qui rédigera un rapport sur les objectifs de développement durable (SDG).
IFDD : En qualité d’expert pour les Nations Unies, suivez-vous et étudiez-vous notamment l’ampleur des progrès engrangés au niveau des objectifs de développement durable ? Qu’est-ce qui vous surprend le plus jusqu’à présent ?
Jean-Pascal van Ypersele « Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements de la coopération relative au rapport international sur le développement durable, donc il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions. Mais nous avons quand même enregistré des avancées dans plusieurs domaines. Au niveau du climat, nous avons par exemple signé l’accord de Paris. Cet accord ne propose bien entendu qu’un cadre qu’il s’agira de compléter et les ambitions pour y parvenir demeurent souvent trop timides. Nous avançons dans la bonne direction dans de nombreux domaines mais nous pourrions accélérer le mouvement et y mettre un peu plus d’énergie. Voilà un premier constat. »
IFDD : Quels sont les principaux défis qui attendent les autorités dans l’implémentation des SDG ? FIDO.
Jean-Pascal van Ypersele « L’un des principaux défis qui attend les pouvoir publics est d’encourager les départements à ne plus travailler de manière isolée et à ne plus rester enfermés dans leur cocon. Ils doivent se défaire de leurs œillères et davantage miser sur une approche transversale, qui soit à la fois horizontale entre les différents départements et verticale entre les niveaux de pouvoir. Il est aussi très important d’impliquer dans le processus toutes les parties prenantes auprès des pouvoirs publics, de la société civile et des citoyens. Ce n’est que comme ça que nous provoquerons un réel changement dans notre société et notre économie. »
IFDD : En Belgique, une approche transversale telle que vous la décrivez est primordiale mais pas facile à mettre en place, compte tenu des structures de pouvoir compliquées de notre pays. Comment s’en sort la Belgique dans ce domaine ?
Jean-Pascal van Ypersele « En Belgique, il existe de nombreuses structures qui permettent de mettre en place une coopération entre différents départements et niveaux de pouvoir. C’est bien entendu positif mais je pense que nous n’exploitons pas pleinement les possibilités ainsi créées. L’une des principales raisons à cela est le manque de volonté politique. Prenez par exemple le niveau fédéral : nous ne disposons toujours pas d’un Plan fédéral pour le Développement durable alors que la loi nous y oblige. Et ces lacunes ont des répercussions sur l’implémentation des SDG. Il est important de garder à l’esprit que nous sommes tous dans le même bateau. Si nous voulons que la planète reste viable, nous devons tous suivre le même cap. À l’instar des autres pays riches, la Belgique a pris ses responsabilités en la matière. Le jugement des hommes politique est guidé par leur propre programme politique. Il n’est de ce fait pas toujours évident d’aligner des objectifs à court et long terme. Et ils manquent ainsi parfois des occasions qui s’inscrivent un cadre plus vaste, comme les SDG. »
Oui, les SDG sont franchement ambitieux, mais en fixant un objectif clair et fort, aussi ambitieux soit-il, vous motivez les hommes politiques et les décideurs à s’engager dans la bonne direction
IFDD : Dans un entretien publié dans le magazine HUMO, vous affirmez que les 17 SDG ne sont pas toujours réalistes mais que sans hautes ambitions, on n’arrive à rien. Comment, à votre avis, les SDG vont-ils changer le monde d’ici 2030 ?
Jean-Pascal van Ypersele « Il est vrai que les SDG sont franchement ambitieux. Prenez par exemple le SDG 1 « Pas de pauvreté », qui promeut l’éradication totale de la pauvreté dans le monde d’ici 2030. C’est un objectif très ambitieux, que nous ne parviendrons fort probablement pas à atteindre. Mais si l’objectif était « Réduire la pauvreté de 10 pourcent dans le monde », on impliquerait que 90 % des pauvres le resteraient. En fixant un objectif clair et fort, aussi ambitieux soit-il, vous motivez les hommes politiques et les décideurs à s’engager dans la bonne direction. Et c’est un peu le cas pour tous les SDG. Même si l’objectif est très ambitieux, on élaborera des plans dans le but de l’atteindre et l’on progressera dans la bonne direction.
IFDD : Les SDG-sceptiques doutent parfois du processus de changement constant qui se déroulera d’ici 2030.
Jean-Pascal van Ypersele « Il est bien entendu encore trop tôt pour faire des prédictions quant à l’impact réel que nous constaterons en 2030. Tout deviendra plus clair dans les années à venir mais il faudra certes se montrer patient car tout ne va pas changer du jour au lendemain. Il faudra des plans, des objectifs, des indicateurs et des statistiques. Il est nécessaire de mesurer le changement et d’en assurer le suivi. Il nous faut des instituts qui fonctionnent bien, collaborent et impliquent la société civile. Je suis convaincu que si nous y mettons suffisamment d’énergie et de conviction, nous pourrons conclure les SDG par une bonne note et obtenir un résultat positif en 2030. Je pense que c’est possible mais nous devons en avoir envie et faire plus que ce que nous ne faisons pour le moment. »
l'Enseignement, la croissance démographique, l'environment, tout est lié. Et les SDG en sont le reflet. Au Nord comme au Sud, tout le monde gagnera à s’impliquer dans les SDG.
IFDD : Les accords sur le climat et les SDG ont été adoptés en 2015 par les Nations Unies. À l’époque, la COP21 avait été largement couverte par les médias mais le grand public a moins entendu parler des objectifs de développement durable. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pascal van Ypersele « Oui, il est vrai que le climat bénéficie d’une large couverture médiatique tandis que d’autres sujets sont relégués au second plan. Je pense notamment à la biodiversité. La diminution de la biodiversité est une réelle catastrophe ; des variétés de plantes et des espèces animales sont en voie d’extinction. Notre bien-être, notre alimentation, notre santé dépendent chacun de la santé de ces écosystèmes. Un autre exemple est l’enseignement. Dans certaines régions en développement, l’accès à l’enseignement reste problématique. Ce sont principalement les jeunes filles qui ne peuvent pas aller à l’école dans les pays en développement car elles sont vouées à jouer les rôles secondaires. Pourtant, tout le y monde gagnerait si l’on inversait la tendance. Les progrès en matière d’enseignement contribueront en effet à freiner la croissance démographique. Ce qui aura alors des répercussions positives sur l’environnement et de nombreux autres domaines. Donc vous voyez, tout est lié. Et les SDG en sont le reflet. Au Nord comme au Sud, tout le monde gagnera à s’impliquer dans les SDG. »